Qui était Jean ZAY ?





En Septembre 1946, deux chasseurs découvraient par hasard à Molles, dans un bois de l’Allier, prés du lieu-dit "Les Malavaux", dans la faille du "Puits du diable", le corps de Jean Zay. 


C’est ici, que le 20 Juin 1944, il avait été abattu par Charles Develle, milicien, d’une rafale d’arme automatique, dépouillé de ses vêtements pour le rendre méconnaissable, jeté dans le trou, et enseveli sous des rochers.


Ce jour là, prétextant un transfert vers la prison de Melun, les miliciens Millou, Develle et Maret l’avaient extrait de la prison de Riom, en signant la levée d’écrou sous de faux noms.


Dupé par ses gardes, il était descendu de voiture avec eux, et les avait suivis dans cette montagne, croyant rejoindre un maquis. A son épouse, inquiète de la destination de son mari, Pierre Laval répondra qu’il ignorait tout de ce transfert, puis, dans l’incertitude, ordonna une enquête.







" J’ai l’impression que ces salauds de miliciens me cachent quelque chose" confiera-t-il en Juillet à un journaliste, en évoquant cette disparition... Le 22 juin, Mme Jean Zay recevait une lettre lui laissant entendre que son mari serait en bonne santé, et en sécurité. Le doute subsistera jusqu’à la libération : la justice établira en 1953 de quel monstrueux assassinat il s’agissait.

Notre devoir d’entretien de la mémoire collective s’impose d’autant plus que les haines qui scellèrent le destin de Jean Zay n’ont pas disparu. D’un père Juif laïc, Léon Zay, et d’une mère beauceronne et protestante, Alice Chartrain, il naquit à Orléans, son grand-père avait choisi la France en 1871. Avocat en 1928, il entre en politique en 1932 comme député du Loiret. Et déjà, la presse locale s’étranglait : "..La cité de Jeanne d’Arc(..) subirait-elle l’opprobre d’un député Juif ?"

Franc maçon, républicain laïque, radical de gauche, un des artisans de l’union des gauches face aux tentatives fascistes en 1934, ministre de l’éducation nationale et des beaux arts du cabinet de Léon Blum à partir du 4 juin 1936, partisan d’un soutien aux républicains Espagnols, adversaire de tout compromis avec l’Allemagne Hitlérienne, il incarnait tout ce qu’une droite extrême pouvait détester. Elle utilisa contre lui, à chaque étape de sa carrière, un texte de jeunesse, pastiche antimilitariste, écrit en 1924 dans une correspondance privée. Embarqué à bord du Massilia en 1940, il s’apprêtait à monter un réseau de résistance avec Georges Mandel, (qui connaîtra un sort analogue au sien) et Pierre Mendès-France, lorsqu’il fut arrêté à Casablanca par la police de Vichy, condamné après un simulacre de procès à la déportation perpétuelle sur l’île du Diable, et jeté en prison....c’était environ un demi-siècle après l’affaire Dreyfus.

Mais c’est aussi la mémoire d’un homme au service de la jeunesse et de la nation qu’il nous faut conserver. Citons-le : "C’est l’effort d’éducation et de formation de la jeunesse qu’un gouvernement républicain considère comme sa principale préoccupation". Nos élèves retiennent facilement de ses traces la prolongation de la scolarité obligatoire de 13 à 14 ans, l’invention des "Bibliobus", l’introduction de l’éducation physique obligatoire dans les horaires, les cantines scolaires, la construction des lycées de filles, l’essor des colonies de vacances, la création du CNRS et l’ébauche de ce qui deviendra l’ ENA. Mais la réforme de fond porte sur la refonte de l’architecture du système éducatif :

L’école du peuple, c’était ses classes primaires, élémentaires puis supérieures qui débouchaient au mieux vers les concours de la fonction publique. Le lycée, avec ses "petites classes" que suivaient les parcours dans le secondaire, puis le supérieur, c’était l’école de la bourgeoisie. Ordres étanches, qui limitaient les chances de promotion des enfants du peuple et protégeaient ceux des familles bien nées de la concurrence de masse qu’entraînerait la démocratisation du secondaire. Le projet de Jean Zay était de substituer à ce système, à vrai dire peu conforme aux principes libéraux et républicains, un enseignement unifié en degrés successifs, avec étapes d’ "auscultation", permettant à tout élève de s’orienter en fonction de ses capacités, et non de ses origines. La démocratisation des bourses d’étude devait permettre de gommer les inégalités dues aux seules ressources financières des familles.














Comme toute réforme du système éducatif, un tel projet ne pouvait faire moins que provoquer les réactions des positions établies, car derrière une réforme du système éducatif c’est toujours un projet de société qui se dessine. Cerné par les conservatismes, Jean Zay échoua le 5 Mars 1937 devant un parlement rétif, et amorçât sa réforme par la voie réglementaire. Les enseignants du secondaire craignaient pour leur prestige, et la droite conservatrice n’a jamais vraiment goûté l’ouverture des lycées Parisiens aux enfants d’ouvriers. Il n’empêche, l’école démocratique et républicaine était née, son élan sera complété plus tard, et c’est à Jean Zay que nous devons d’avoir mis un terme à une organisation qui institutionnalisait l’école de classe, et faisait obstacle à toute mobilité sociale ; c’est un héritage immense et précieux.

Le conservatisme sévissait également dans les musées nationaux. L’Académie des Beaux Arts avait timidement accepté l’impressionnisme, mais rien qui lui fut postérieur. A l’initiative de Jean Zay, les collections nationales ont enfin pu faire l’acquisition de toiles de Bonnard, Matisse ou Léger, et ouvrir la voie à un éclectisme que nous apprécions aujourd’hui.

Nos élèves, arrivant au lycée (nommée "Lycée Jean ZAY" depuis 1993 par décision du Conseil Régional d'Auvergne), connaissent rarement le nom de Jean Zay ; à leur décharge, jusqu’au début des années 80, le dictionnaire Larousse l'ignorait également. Une centaine d'établissements scolaires portent aujourd'’hui son nom ; une cérémonie annuelle dans la crypte de la Sorbonne, une association des amis de Jean Zay, ses filles Catherine et Hélène contribuent à entretenir sa mémoire. Au moment du cinquantenaire de son assassinat, en 1994, expositions et colloques, à Orléans en particulier, ont rendu hommage au ministre martyr. Puisse cette brève et incomplète évocation contribuer à sensibiliser nos élèves à leur futur rôle de dépositaire de la mémoire collective.


M. LACOUR